Quand le terme placenta accreta apparaît sur un compte rendu d’échographie ou lors d’une consultation, une inquiétude revient souvent : « Est-ce que je vais saigner ? Est-ce que l’accouchement va devenir une urgence ? » Le placenta accreta fait partie d’un ensemble de situations où le placenta est trop ancré dans la paroi utérine. Le point sensible, c’est la délivrance (le moment où le placenta devrait se décoller) : si le placenta reste accroché, le risque d’hémorragie augmente fortement. Heureusement, quand le placenta accreta est repéré avant la naissance, l’équipe peut planifier, préparer le sang, choisir le bon lieu, et réduire les gestes à risque.
Placenta accreta : de quoi parle-t-on exactement ?
Définition du placenta accreta et différence avec une simple adhérence
Le placenta accreta correspond à une implantation anormale du placenta dans la paroi de l’utérus. Habituellement, il existe une zone de séparation naturelle entre placenta et utérus : après la naissance, le placenta se détache et sort lors de la délivrance.
Dans le placenta accreta, cette interface est déficiente : le placenta reste attaché, parfois très solidement. On entend parfois « placenta adhérent » pour un placenta qui se décolle difficilement , la nuance, c’est qu’avec un placenta accreta, l’ancrage est lié à une absence ou une altération de la zone de clivage, ce qui rend un décollement forcé particulièrement hémorragique.
Accreta, increta, percreta : jusqu’où l’implantation peut aller ?
On décrit la profondeur de pénétration des villosités placentaires :
- Accreta : le placenta est au contact du muscle utérin, sans l’envahir franchement.
- Increta : le placenta envahit le myomètre (le muscle de l’utérus).
- Percreta : le placenta traverse toute l’épaisseur utérine et peut atteindre la séreuse, parfois des organes voisins (surtout la vessie).
Plus l’invasion est profonde, plus l’accouchement doit être anticipé avec une stratégie opératoire très cadrée.
Placenta accreta spectrum (PAS) : pourquoi on parle de “spectre”
Les équipes utilisent l’expression placenta accreta spectrum (PAS) pour regrouper accreta, increta et percreta : même logique biologique (implantation anormale), mêmes risques principaux (hémorragie, gestes complexes), mais intensité différente.
Les classifications (dont FIGO) servent surtout à harmoniser la description entre échographiste, obstétricien, anesthésiste et chirurgiens, afin que tout le monde parle le même langage le jour de la naissance.
Pourquoi le risque de placenta accreta augmente
Un phénomène lié aux cicatrices, et donc aux césariennes
La fréquence du placenta accreta a augmenté ces dernières décennies, parallèlement à l’augmentation des césariennes. Le mécanisme est assez intuitif : une cicatrice utérine peut modifier la muqueuse (endomètre) et la zone d’implantation lors d’une grossesse suivante. Le placenta peut alors se fixer là où la « couche protectrice » est moins efficace.
Profils plus à risque : les situations typiques
Le scénario le plus classique associe :
- une ou plusieurs césariennes antérieures,
- et un placenta bas inséré, notamment un placenta previa.
Dans de nombreuses séries, un placenta previa est présent dans une grande proportion de PAS. Le risque augmente avec le nombre de césariennes, surtout quand un placenta previa s’ajoute.
D’autres contextes peuvent augmenter le risque de placenta accreta : chirurgie intra-utérine (curetage, hystéroscopie), myomectomie, âge maternel plus élevé, multiparité, grossesse obtenue par AMP/FIV.
Causes et facteurs de risque du placenta accreta
Le mécanisme : défaut d’interface placenta–utérus
Le cœur du placenta accreta, c’est un défaut du plan de séparation entre placenta et utérus. Au lieu de s’implanter dans la couche prévue pour une grossesse « standard », le placenta s’ancre trop près du muscle, voire y pénètre.
Conséquence très concrète : tenter d’arracher le placenta peut ouvrir brutalement de gros vaisseaux utérins et provoquer une hémorragie du post-partum.
Repères anatomiques simples : decidua basalis, couche de Nitabuch
Deux termes reviennent parfois :
- Decidua basalis : couche utérine transformée par la grossesse, jouant un rôle de zone tampon.
- Couche de Nitabuch : zone de démarcation qui limite habituellement l’invasion placentaire.
Quand ces couches sont absentes, amincies ou altérées (souvent sur une cicatrice), l’implantation peut devenir trop profonde : c’est le terrain du placenta accreta.
Facteurs de risque principaux
- Antécédent de césarienne (facteur majeur), avec un risque qui augmente avec le nombre.
- Placenta previa associé à une cicatrice utérine : risque nettement plus élevé.
- Chirurgies utérines : myomectomie, curetages, hystéroscopie, ablation endométriale.
- Multiparité et âge maternel (souvent > 35 ans).
- Antécédents utérins : endométrite, syndrome d’Asherman, anomalies utérines.
- AMP/FIV : association décrite dans plusieurs études.
Signes possibles : pourquoi on le découvre parfois tard
Pendant la grossesse : souvent silencieux
Le placenta accreta ne donne souvent aucun symptôme spécifique. Quand il y a des signes, ils ressemblent plutôt à ceux d’un placenta previa : saignements vaginaux au 3e trimestre, parfois minimes mais répétés.
Une question pratique : « Une petite perte de sang, c’est grave ? » Toute perte de sang au 3e trimestre mérite un avis obstétrical rapide, même si elle paraît faible.
À l’accouchement : placenta qui ne se décolle pas, hémorragie
Le diagnostic peut être fait au moment de la délivrance : placenta qui ne se décolle pas et hémorragie post-partum si on force.
C’est précisément ce que le dépistage du placenta accreta cherche à éviter : mieux vaut anticiper que découvrir dans l’urgence.
Diagnostic prénatal : échographie, Doppler, IRM
Quand y penser : dépistage ciblé
On recherche surtout un placenta accreta chez les personnes à risque : antécédent(s) de césarienne ou de chirurgie utérine, placenta bas, placenta previa, cumul de facteurs.
Une surveillance échographique spécialisée est alors organisée, avec des examens à des moments clés pour suivre la localisation placentaire et l’apparition de signes.
Échographie Doppler : l’examen de première intention
L’outil principal est l’échographie, souvent associée au Doppler. Les signes qui orientent vers un PAS incluent :
- lacunes placentaires (aspect en « trous »),
- disparition de la zone claire rétroplacentaire,
- myomètre aminci derrière le placenta,
- hypervascularisation au Doppler et vaisseaux « pontants » (bridging vessels), avec flux turbulents.
Ces signes ne permettent pas toujours de trancher parfaitement entre accreta, increta et percreta, mais ils suffisent souvent pour préparer une naissance sécurisée.
IRM pelvienne : un outil complémentaire
L’IRM pelvienne est surtout utile quand l’échographie est difficile (placenta postérieur, fenêtre limitée) ou quand une extension vers la vessie est suspectée (percreta). Elle aide à cartographier les rapports entre placenta, paroi utérine et organes voisins.
Limites : incertitudes possibles malgré un bon bilan
Même avec des signes très évocateurs, la profondeur exacte peut rester partiellement incertaine avant la naissance. Les cadres standardisés (dont FIGO) aident à décrire de façon cohérente et à planifier une stratégie partagée.
Accouchement et prise en charge : ce qui est souvent proposé
Objectifs : éviter la surprise, anticiper le saignement
Avec un placenta accreta, l’objectif est de réduire le risque d’hémorragie massive : prévoir le lieu, l’équipe, les produits sanguins, le matériel, et anticiper aussi l’accueil du bébé si une naissance plus précoce est choisie.
Centre spécialisé et équipe pluridisciplinaire
Une prise en charge en maternité équipée et habituée au PAS améliore la sécurité :
- obstétrique et anesthésie,
- réanimation si besoin,
- néonatologie,
- chirurgie pelvienne, et parfois urologie (vessie/uretères),
- coordination avec la banque du sang (protocole transfusionnel, parfois cell-saver selon les centres).
Pour les parents, cela peut signifier un transfert, plus de rendez-vous, un plan très structuré. C’est exigeant, mais cela évite l’improvisation.
Préparation avant la naissance
Les équipes prévoient souvent :
- correction d’une anémie (bilan martial, fer oral ou IV selon la situation),
- disponibilité de culots, plasma, plaquettes si besoin,
- discussion claire des scénarios, dont l’éventualité d’une hystérectomie.
Quand et comment se déroule l’accouchement
Si la situation est stable, l’accouchement est souvent planifié (souvent entre 34 SA et 35 SA + 6 jours, selon le contexte clinique). Une corticothérapie anténatale peut être proposée pour la maturation pulmonaire du bébé.
La naissance se fait le plus souvent par césarienne. Principe majeur : ne pas tenter de décoller le placenta de force. L’incision utérine est choisie pour éviter de traverser le placenta lorsque c’est possible, puis la stratégie opératoire prévue est appliquée.
Traitements possibles : hystérectomie, options conservatrices, percreta
Césarienne-hystérectomie : stratégie de référence
Dans beaucoup de PAS confirmés ou fortement suspectés, la stratégie de référence est la césarienne-hystérectomie : naissance du bébé par césarienne, puis retrait de l’utérus avec le placenta laissé en place, pour éviter l’hémorragie liée à un arrachement.
Conséquence majeure : perte définitive de la fertilité. C’est une information lourde , elle mérite d’être discutée avant, sans précipitation, avec un espace pour poser toutes les questions.
Approches conservatrices : au cas par cas
Dans des situations sélectionnées, une préservation utérine peut être discutée :
- résection localisée et réparation utérine (si implantation limitée),
- placenta laissé en place (placenta in situ) avec suivi prolongé.
Ces options exposent à des complications secondaires (infection, saignements tardifs) et nécessitent des contrôles réguliers. Elles ne conviennent pas à toutes les formes de placenta accreta, notamment en cas d’invasion étendue.
Radiologie interventionnelle : embolisation, ballons occlusifs
Selon les centres, la radiologie interventionnelle peut proposer embolisation ou ballons prophylactiques des artères iliaques internes. L’intérêt peut être réel pour contrôler certaines hémorragies, mais l’efficacité varie selon les équipes et les situations.
Percreta : une planification renforcée
En cas de percreta, la préparation est encore plus poussée : évaluer l’atteinte vésicale, anticiper une intervention urologique (protection des uretères, réparation de vessie), parfois une chirurgie plus étendue.
Suites, complications et projets après un placenta accreta
Risques à connaître pour la mère et pour le bébé
Pour la mère : hémorragie massive, transfusions, troubles de la coagulation, lésions de la vessie/uretères/intestin, infection, thrombose, parfois passage en soins intensifs.
Pour le bébé : l’enjeu principal est le terme. Une naissance programmée plus tôt peut entraîner une prématurité iatrogène et une hospitalisation en néonatologie, avec surveillance respiratoire, thermique et de l’alimentation.
Surveillance après l’accouchement
Les premières heures et les premiers jours nécessitent une surveillance rapprochée : tension, saignements, douleur, reprise du transit, paramètres biologiques (hémoglobine, coagulation), prévention thromboembolique selon le contexte.
Si le placenta a été laissé en place, le suivi est plus long : contrôles cliniques, biologiques et parfois imagerie, car une infection ou des saignements secondaires peuvent survenir.
Récidive et suivi d’une grossesse future
Si l’utérus est conservé, un risque de récidive est décrit dans les séries (souvent autour de 15–30%). Une future grossesse se prépare par une consultation précoce, une échographie ciblée dès le début, et un suivi dans une équipe habituée au placenta accreta.
À l’échelle collective, réduire les césariennes non nécessaires et limiter certains gestes intra-utérins quand une alternative existe participe à diminuer l’incidence, tout en restant adapté à chaque histoire obstétricale.
À retenir
- Le placenta accreta s’inscrit dans le placenta accreta spectrum (PAS) : accreta, increta, percreta.
- Le risque augmente surtout après césarienne, et il devient très élevé quand un placenta previa est associé.
- Le diagnostic repose d’abord sur l’échographie avec Doppler , l’IRM peut aider à préciser l’extension.
- Une naissance planifiée dans un centre entraîné, avec équipe pluridisciplinaire et préparation transfusionnelle, améliore la sécurité.
- La stratégie la plus fréquente en cas de PAS étendu est la césarienne-hystérectomie sans tentative d’arrachement du placenta.
- Des ressources existent pour accompagner les choix et l’après. Pour des conseils personnalisés et des questionnaires de santé gratuits pour les enfants, vous pouvez télécharger l’application Heloa.
Les questions des parents
Peut‑on accoucher par voie basse si un placenta accreta est diagnostiqué ?
Rassurez‑vous : quand un PAS est suspecté, les équipes préfèrent généralement une césarienne planifiée pour maîtriser le risque hémorragique. La voie basse n’est habituellement pas recommandée si l’implantation anormale est connue. Si le PAS n’a pas été identifié avant la délivrance et que le placenta se décolle normalement, une naissance vaginale peut survenir, mais cela reste une situation imprévisible et suivie très attentivement.
Comment préparer le soutien psychologique et les proches ?
Affronter un PAS peut être anxiogène. N’hésitez pas à demander une orientation vers un psychologue périnatal, une sage‑femme référente ou une cellule de soutien psychologique de la maternité. Préparez une liste de questions, impliquez votre partenaire et les proches, et demandez un plan écrit de la prise en charge. Les groupes de pairs et les associations peuvent aussi offrir un soutien précieux et des témoignages rassurants.
Quelles options de contraception après un PAS ?
Si une hystérectomie a été réalisée, la contraception n’est plus nécessaire. Si l’utérus a été conservé, le choix doit se faire avec votre équipe : méthodes progestatives, stérilet (posologie et moment d’insertion à discuter selon la cicatrisation), contraception oestro‑progestative selon le contexte, ou contraception définitive si souhaitée. Un délai pour laisser l’utérus cicatriser et un suivi personnalisé sont souvent recommandés.




